lundi 2 novembre 2015

L'avenir de la langue arabe selon Khalil Gibran (1923)



ما هو مستقبل اللغة العربية ؟

إنّما اللغة مظهر من مظاهر الابتكار في مجموع الأمة، أو ذاتها العامّة، فإذا هَجَعت قوّة الابتكار ، توقَّفت اللغة عن مسيرها، وفي الوقوف والتقهقر الموت والاندثار.

اذاً فمستقبل اللغة العربيّة يتوقّف على مستقبل الفكر المبدع الكائن –أو غير الكائن– في مجموع الأمم التي تتكلّم اللغة العربيّة. فإنْ كان ذلك الفكر موجوداً، كان مستقبل اللغة عظيماً كماضيها، وإن كان غير موجود، فمستقبلها سيكون كحاضر شقيقتيها السريانيّة والعبرانيّة.

وما هذه القوّة التي ندعوها قوّة الابتكار؟

هي، في الأُمّة، عزم دافع إلى الأمام، وهي، في قلبها، جوع وعطش وتوق إلى غير المعروف، وفي روحها، سلسلة أحلام تسعى إلى تحقيقها ليلاً ونهاراً


Traduction française par Heidi Toelle :

Quel avenir pour la langue arabe ?
La langue n’est que l’un des aspects de la créativité de la nation ou de la personnalité collective de celle-ci. Lorsque la force créatrice s’assoupit, la langue cesse d’avancer et cet arrêt est synonyme de recul, lequel est synonyme de mort et d’effacement.
L’avenir de la langue arabe dépend donc de celui de l’existence - ou de l’inexistence - d’une pensée créatrice dans l’ensemble des nations qui parlent l’arabe. Si cette pensée existe, l’avenir de la langue arabe sera aussi grandiose que son passé ; mais dans le cas contraire, elle connaîtra à l’avenir le même sort que ses deux langues sœurs, le syriaque et l’hébreu.
Qu’est-ce donc que cette force que nous appelons créatrice ?
C’est la détermination de la nation à aller de l’avant. C’est d’avoir, dans son cœur, la faim, la soif et le désir de l’inconnu ;  c’est d’avoir dans son esprit une série de rêves que l’on s’efforce, jour et nuit, de concrétiser.

Extrait de Histoire de la littérature arabe moderne, tome II, Anthologie bilingue, sous la direction de Boutros Hallaq et Heidi Toelle, Sindbad/Actes sud, 2013.



dimanche 27 septembre 2015

Edith Piaf chantée par Jahida Webhé : « Non, je ne regrette rien » لا، ما بندم ع شي


A Bobino, sur la scène où Edith Piaf chantait à son dernier concert, en 1963, la chanteuse libanaise Jahida Webhé interprète ce dimanche « Non, je ne regrette rien » en arabe : لا، ما بندم ع شي . Seize titres en tout parmi lesquels Hymne à l'amour, Milord et La vie en rose. Des traductions assurées pour cette occasion exceptionnelle par des poètes et des écrivains (May Menassa, Magida Dagher, Marie Koussaifi, Nadine Abdennour, Germanos Germanos, Waciny Laredj, Antoine Tawk, Issa Makhlouf). Un public en nombre insuffisant pour remplir la salle historique mais qui vibre au son du ney, la flûte de bambou et des rythmes des treize musiciens. C'est plein de nostalgie et de générosité. Avec un cœur gros comme ça. Un concert du dimanche soir en famille et avec deux ministres du pays s'il vous plaît.
« Nous pensons fort à la crise que traverse le Liban, note la productrice Nayla Khalek dans le programme. En cette période particulièrement difficile de son histoire et de celle de l'ensemble de la région. Notre récital de ce soir est une autre forme de lutte pour que notre image, la vraie, celle que nous méritons, puisse demeurer. »


Autre traduction de Non, je ne regrette rien, sur le site Lyrics translate.
Dans le film La Môme (2007) d'Olivier Dahan, Marion Cotillard, la voix d'Edith Piaf et les sous-titres arabes :


samedi 5 septembre 2015

يمكنكم ان تقطعوا الازهار.. (Ils pourront couper toutes les fleurs…)



يمكنكم ان تقطعوا الازهار.. لكن لا يمكنكم أن تمنعوا الربيع ان يأتي - بابلو نيرودا


Podrán cortar todas las flores, pero no podrán detener la primavera.

Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps de revenir.

Pablo Neruda

samedi 4 juillet 2015

Poète, quel sang coule dans ton poème دم من هذا الذي يجري في قصيدتك أيها الشاعر ؟


دم من هذا الذي يجري في قصيدتك أيها الشاعر
و في المتبقي من الزمن، شقيقي الذي شقَّ الغروبُ رأسه
دمه يقطرُ في ملابسي
دمُ من هذا ؟
وظهره الذي تقصَّفَ جهة الغربِ يقطرُ حمرةً وغروباً.
دمُ من هذا ؟
دمُ من هذا ؟

Poète, quel sang coule dans ton poème ?
Dans le temps qui reste, le couchant a fracassé la tête de mon frère,
son sang suinte de mes vêtements
Quel sang est-ce ?
Son dos brisé vers le couchant ruisselle de rouge et de couchant.

Quel sang est-ce ?
Quel sang ?


Extrait d’un poème du Syrien Nouri al-Jarrah, Sept jours, publié en édition bilingue par Europia, traduction Rania Samara, illustrations Youssef Abdelke et Assem al-Bacha

jeudi 23 avril 2015

La littérature de prison dans le Machreq (Rania Samara)

« Toute la liberté dans tout le monde arabe n’est pas suffisante pour un seul écrivain. » Youssef Idriss (Égypte, 1927 - 1991).

Cité par Rania Samara, « La littérature de prison dans le Machreq, Université Populaire de l'iReMMO 06/04/2013

Rania Samara a comptabilisé cent mille liens sur Internet sur le thème littérature et prison.

samedi 11 avril 2015

L'art d'aimer (Mahmoud Darwich)


Mahmoud Darwish - A Lesson From The Kama Sutra par poetictouch

Version originale :

درس من كاما سوطرا
 محمود درويش

بكأس الشراب المرصّع باللازرود
انتظرها،
على بركة الماء حول المساء وزهر الكولونيا
انتظرها،
بصبر الحصان المعدّ لمنحدرات الجبال
انتظرها،
بسبع وسائد محشوة بالسحاب الخفيف
انتظرها،
بنار البخور النسائي ملء المكان
انتظرها،
برائحة الصندل الذكرية حول ظهور الخيول
انتظرها،
ولا تتعجل فإن اقبلت بعد موعدها
فانتظرها،
وإن أقبلت قبل موعدها
فانتظرها،
ولا تُجفل الطير فوق جدائلها
وانتظرها،
لتجلس مرتاحة كالحديقة في أوج زينتها
وانتظرها،
لكي تتنفس هذا الهواء الغريب على قلبها
وانتظرها،
لترفع عن ساقها ثوبها غيمة غيمة
وانتظرها،
وخذها إلى شرفة لترى قمراً غارقاً في الحليب
انتظرها،
وقدم لها الماء، قبل النبيذ، ولا
تتطلع إلى توأمي حجل نائمين على صدرها
وانتظرها،
ومسّ على مهل يدها عندما
تضع الكأس فوق الرخام
كأنك تحمل عنها الندى
وانتظرها،
تحدث اليها كما يتحدث ناي
إلى وتر خائف في الكمان
كـأنكما شاهدان على ما يعد غد لكما
وانتظرها
ولمّع لها ليلها خاتما خاتما
وانتظرها
إلى ان يقول لك الليل:
لم يبق غيركما في الوجود
فخذها، برفق، إلى موتك المشتهى
وانتظرها ! ...


Version française : extrait du recueil de poésie de Mahmoud Darwich, Le lit de l’étrangère (Actes Sud, 2000).


L’art d’aimer
Mahmoud Darwich, traduction Élias Sanbar

Avec la coupe sertie d’azur,
Attends-la
Auprès du bassin, des fleurs du chèvrefeuille et du soir,
Attends-la
Avec la patience du cheval sellé pour les sentiers de montagne,
Attends-la
Avec le bon goût du prince raffiné et beau,
Attends-la
Avec sept coussins remplis de nuées légères,
Attends-la
Avec le feu de l’encens féminin partout
Attends-la
Avec le parfum masculin du santal drapant le dos des chevaux,
Attends-la.
Et ne t’impatiente pas. Si elle arrivait après son heure,
Attends-la
Et si elle arrivait, avant,
Attends-la
Et n’effraye pas l'oiseau posé sur ses nattes,
Et attends-la
Qu’elle prenne place, apaisée, comme le jardin à sa pleine floraison,
Et attends-la
Qu’elle respire cet air étranger à son cœur,
Et attends-la
Qu’elle soulève sa robe, qu’apparaissent ses jambes, nuage après nuage,
Et attends-la
Et mène-la à une fenêtre, qu’elle voie une lune noyée dans le lait,
Et attends-la
Et offre-lui l’eau avant le vin et
Ne regarde pas la paire de perdrix sommeillant sur sa poitrine,
Et attends-la
Et comme si tu la délestais du fardeau de la rosée,
Effleure doucement sa main lorsque
Tu poseras la coupe sur le marbre,
Et attends-la
Et converse avec elle, comme la flûte avec la corde craintive du violon,
Comme si vous étiez les deux témoins de ce que vous réserve un lendemain,
Et attends-la
Et polis sa nuit, bague après bague,
Et attends-la
Jusqu’à ce que la nuit te dise :
Il ne reste plus que vous deux au monde.
Alors, porte-la avec douceur vers ta mort désirée
Et attends-la… !


La voix de Mahmoud Darwich est ici accompagnée par le Trio Joubran :

Le Trio Joubran - Shajan et une leçon de Kamasutra from Amor Ben Rhouma on Vimeo.

samedi 28 mars 2015

Mahmoud Darwich, "Passeport", جَوازُ سَفَرٍ, Un poème, deux traductions



En 2008, Damas… capitale arabe de la culture. Pour la clôture, le chanteur libanais Marcel Khalife rend hommage au poète palestinien Mahmoud Darwich auteur du poème  "Passeport" : جَوازُ سَفَرٍ


ici dans une autre version chantée par le même :

 


لم يعرفوني في الظلال التي
تمتصّ لوني في جواز السفر
و كان جرحي عندهم معرضا
لسائح يعشق جمع الصور
لم يعرفوني، آه.. لا تتركي
كفي بلا شمس
لأن الشجر
يعرفني ..
تعرفني كل أغاني المطر
لا تتركيني شاحبا كالقمر !
كلّ العصافير التي لاحقت
كفي على باب المطار البعيد
كل حقول القمح ،
كل السجون،
كل القبور البيض
كل الحدود ،
كل المناديل التي لوّحت ،
كل العيون
كانت معي، لكنهم
قد أسقطوها من جواز السفر
عار من الاسم من الانتماء؟
في تربة ربيتها باليدين ؟
أيوب صاح اليوم ملء السماء:
لا تجعلوني عبرة مرتين !
يا سادتي! يا سادتي الأنبياء
لا تسألّوا الأشجار عن اسمها
لا تسألوا الوديان عن أمها
من جبهتي ينشق سيف الضياء
و من يدي ينبع ماء النهر
كل قلوب الناس ..جنسيتي
فلتسقطوا عني جوار السفر !


En voici deux traductions :

par Aymen Hacen :

Ils ne m'ont pas reconnu dans les ombres
qui absorbent ma couleur sur le passeport
et ma blessure leur était comme l'exposition
d'un touriste qui aime collectionner les photos.
Ah ! ils ne m'ont pas reconnu. Ne laisse pas le creux de ma main
sans soleil, parce que les arbres me connaissent
et tous les chants de pluie aussi,
ne me laisse pas pâle comme la lune !

Tous les oiseaux qui ont poursuivi le creux de ma main
jusqu'au seuil de l'aéroport lointain,
tous les champs de blé,
toutes les prisons,
toutes les tombes blanches,
toutes les frontières,
tous les mouchoirs agités,
tous les yeux,
tous étaient en ma compagnie,
mais ils ont été effacés du passeport.

Déchargé du poids du nom, de tout signe d'appartenance,
dans une terre que j'ai cultivée de mes mains ?
Job a crié aujourd'hui à pleine voix contre le ciel :
« Ne faites pas de moi, encore une fois, un exemple ! »
Messires, messires les Prophètes !
Ne demandez pas aux arbres leurs noms
ne demandez pas aux ruisseaux leurs sources,
c'est de mon front que naît l'épée de lumière
et de ma main point l'eau du fleuve.
Tous les cœurs des hommes sont ma nationalité,
alors débarrassez-moi de ce passeport !

par Luc-Willy Deheuvels (Manuel d'arabe moderne, vol. 2, L'Asiathèque, 2011, avec la collaboration de Marie-Claire Djaballah-Boulahbel) :

Ils ne m'ont pas reconnu dans les ombres qui
m'enlèvent toute couleur, sur mon passeport.
Ma blessure était pour eux curiosité exposée
par un touriste qui aime collectionner les photos.
Ils ne m'ont pas reconnu, ah… ne laisse pas
ma main sans soleil, parce que les arbres
me reconnaissent… et aussi toutes les chansons de pluie.
Ne m'abandonne pas, pâle comme la lune.

Tous les oiseaux qui ont suivi
ma main jusqu'à la porte du lointain aéroport,
tous les champs de blé,
toutes les prisons,
toutes les tombes blanches,
toutes les frontières,
tous les mouchoirs agités,
tous les regards
m'accompagnaient. Mais eux,
ils les ont enlevés de mon passeport.

Nu de tout nom, de toute appartenance,
sur un sol que j'ai cultivé de mes deux mains.
Job en ce jour a crié en plein ciel :
Ne faites pas de moi un exemple une deuxième fois !
Messieurs, messieurs le sprophètes,
ne demandez pas aux arbres leur nom,
n'interrogez pas les vallées sur leur mère.
De mon front surgit l'épée de lumière
et de ma main jaillit l'eau du fleuve.
Ma nationalité… c'est le cœur de tous les hommes.
retirez-moi donc mon passeport.

lundi 9 mars 2015

rendez-vous avec un poème

أسيرُ خفيفاً خفيفاً كأني تبخَّرتُ من جسادي، و كأني على موعد مع إحدى القصائد

Assīru khafifan khafifan ka’anī takhkharatu min jassādī wa ka’anī ‘ala mu’id ma’a ‘ihda  el-qaṣā’id

Je marche léger léger comme évaporé de mon corps, comme si j'avais rendez-vous avec un poème.

Mahmoud Darwich, Anthologie (1992-2005), Édition bilingue, traduction Élias Sanbar.

samedi 7 mars 2015

Antigone, de Jean Anouilh, sous-titrée en arabe


Barbara Schulz, Robert Hossein, Bernard Dhéran, dans Antigone, de Jean Anouilh.
Mise en scène Nicolas Briançon. Réalisation Vitold Krysinsky. Pièce filmée au Théâtre Marigny-Robert Hossein en 2003. Durée : 1 h 57 min.

vendredi 6 mars 2015

Mahmoud Darwich, "Et la terre, comme la langue" والأرض مثل اللغة


Mahmoud Darwich, Et la terre, comme la langue (1997, 59')

Un film documentaire de Simone Bitton et Elias Sanbar.

Poète de l’exil et de la tragédie palestinienne, Mahmoud Darwich est né en 1942 dans un village de Galilée. Enfant, il a participé à l’exode des réfugiés palestiniens de 1948. Revenu en Israël, Arabe israélien réfugié dans sa propre patrie, il a commencé à écrire dès 1965, alors que la population arabe de l’état d’Israël était encore soumise à un régime spécial d’administration militaire. La blessure qu’il porte en lui est une blessure collective, aussi s’impose-t-il un peu comme la voix de son peuple. En 1971, il décide de s’exiler. C’est alors un long parcours qui se dessine, dans une solitude à laquelle il est désormais attaché. La popularité des poètes est immense en Orient où la poésie est considérée comme un art vivant. Lorsque Mahmoud Darwich donne un récital au Caire, à Beyrouth ou à Alger, des foules considérables viennent scander ses vers avec lui. C’est cette ferveur populaire, cette émotion que le film tente de faire partager. Aux antipodes d’une littérature militante, tout en étant profondément engagée, sa langue poétique a su trouver une voix entre le particulier palestinien et la souffrance universelle. Le film est construit autour de divers entretiens avec Mahmoud Darwich ; un commentaire analyse les principales étapes de sa vie dont l’écriture ne peut être dissociée.

mercredi 4 février 2015

Mahmoud Darwich, L'aéroport d'Athènes [Un poème, deux traductions]

« Je n’écris pas habituellement de poésie dans les avions. Je n’y fais pas davantage mes articles ou mon courrier. Et il ne m’est arrivé qu’une seule fois de devoir dormir sur un banc d’aéroport.
Mais je peux parfaitement imaginer un être qui passerait sa vie dans un aéroport, quand l’ordre international et le droit international sont incapables de lui assurer l’accès à quelque pays que ce soit, quand la liberté d’entrer et de sortir est conditionnée par un tampon officiel sur une feuille de papier. Par la détention d’un papier frappé d’un tampon. C’est la vie moderne ! L’individu n’y a d’autre identité que celle que lui assigne le ministère de l’intérieur.
Cet être, un aéroport l’enverra dans un autre qui l’embarquera à destination d’un troisième, qui l’expédiera vers un quatrième. Tel un colis postal dont les adresses du destinataire et de l’expéditeur seraient perdues.
C’est ce qui m’est arrivé il y a quelques années : un aéroport parisien a gracieusement fait don de ma personne à un aéroport belge qui en fit de même à l’intention d’un aéroport polonais qui, pour finir, me vida dans un aéroport allemand, sans que j’aie à aucun moment le droit de discuter le droit, n’ayant moi-même aucun droit dans aucun aéroport.
Il ne m’a guère fallu plus dix minutes pour écrire à bord d’un avion mon court poème l’Aéroport d’Athènes, un peu comme j’aurais inscrit mes observations sur le temps qu’il fait. Je venais de passer deux heures dans l’aéroport grec grouillant de monde, avec des familles palestiniennes qui avaient formé une sorte de petite communauté, sans savoir comment elles s’étaient retrouvées là, attendant ce qu’elles ne réclamaient pas, dans l’éventualité d’être jetées dans l’inconnu.
Un romancier contemporain pourrait trouver dans ce scénario, poussé au bout de sa dramaturgie, l’une des épopées de notre temps où l’homme se trouve lié à une force inconnue et ironique, sans même pouvoir poser la question de la liberté, individuelle et publique, dans un lieu hors de l’espace, dans une prison… »

Extrait du Monde diplomatique, juin 1987.


Mahmoud Darwish Athens airport مطار اثينا par Halfaween






Mahmoud Darwich, Plus rares sont les roses, traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi, Éditions de Minuit, 1989, 96 pages. 




مَطَارُ أَثِينَا



مَطَارُ أَثِينَا يُوزِّعُنَا لِلْمَطارَاتِ. قَالَ المُقَاتِلُ: أَيْنَ أُقَاتِلُ؟ صَاحَتْ بِهِ 

حَامِلٌ: أَيْنَ أُهْدِيكَ طِفْلَكَ؟ قَالَ المُوَظَّفُ: أَيْنَ أُوَظِّفُ مَالِي؟ فَقَالَ 

المُثَقِّفُ: مَالِي وَمَالكَ؟ قَالَ رِجَالُ الجَمَارِكِ: مِنْ أَيْنَ جِئْتُم؟ أَجبْنَا: مِنَ

البَحْرِ. قَالُوا: إِلَى أَيْنَ تَمْضُون؟ قُلْنَا: إلى البَحْرِ. قَالُوا: وَأَيْنَ عَنَاوِينُكُم؟

قَالَتِ امْرَأَةٌ مِنْ جَمَاعَتِنَا: بُقجَتِي قَرْيتِي. فِي مَطَارِ أَثِينَا انْتَظَرْنَا سِنينَا. تَزَوَّج 

شَابُّ فَتَاةً وَلَمْ يَجِدَا غُرْفَةً لِلزَّوَاجِ السَّرِيعِ. تَسَاءَلَ: أَيْنَ أَفُضُّ بَكَارَتَهَا؟

فَضَحِكْنَا وَقُلْنَا لَهُ: يَا فَتىً, لَا مَكَانَ لهَذَا السُّؤالِ. وَقَالَ المُحلِّل فِينَا:

يَمُوتُونَ مِنْ أَجْلِ أَلَّا يَمُوتُوا. يَمُوتُونَ سَهْواً. وَقالَ الأَدِيِبُ: مُخَيَّمُنَا سَاقِطُ 

لاَ محَالَة. مَاذَا يُريدُونَ مِنَّا؟ وَكَانَ مَطَارُ أَثًينَا يُغَيِّرُ سُكَّانَهُ كُلَّ يَوْمٍ. وَنَحْنُ

بَقَيْنَا مَقَاعِدَ فَوْقَ المَقَاعِدِ نَنْتَظِرُ البَحْرَ, كَمْ سَنةً يَا مَطَارَ أَثِينَا   



L’aéroport d’Athènes

Traduction d'Abdellatif Laâbi :

L’aéroport d’Athènes nous répartit dans les aéroports.
Le combattant a dit : où combattrai-je ?
Une femme enceinte lui a crié : où t’offrirai-je ton enfant ?
Le fonctionnaire a dit : où ferai-je des affaires ?
L’intellectuel a rétorqué : c’est ton affaire.

Les douaniers ont demandé : d’où êtes-vous ?
Nous avons répondu : de la mer.
Ils ont demandé : où allez-vous ?
Nous avons répondu : à la mer.
Ils ont demandé : votre adresse ?
Une femme de notre groupe a répondu :
         mon village, c’est mon baluchon.

A l’aéroport d’Athènes, nous avons attendu des années.
Un jeune homme a épousé une jeune fille
   et ils n’ont pas trouvé de chambre pour consommer rapidement le mariage.
Il s’est demandé : où vais-je la déflorer ?
Nous avons ri et lui avons dit :
   cette question n’a pas lieu d’être, jeune homme.
L’analyste a dit : ils meurent pour ne pas mourir.
Ils meurent par hasard.
L’homme de lettres a dit : notre camp va sûrement tomber.
Que veulent-ils de nous ?

Chaque jour, l’aéroport d’Athènes changeait d’habitants.
Et nous, nous sommes restés comme des bancs sur les bancs, à attendre la mer,
pour combien d’années,
ô aéroport d’Athènes !



Traduction Elias Sanbar (Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite et autres poèmes (1966 - 1999), Gallimard, Poésie, 2000 :

L'aéroport d'Athènes
L'aéroport d'Athènes nous répartit entre les aéroports. le combattant a dit : Où combattrait-je ? Une femme enceinte lui cria : Où t'offrir ton enfant ? L'employé a dit : Qu'ai-je à voir avec ton argent ? Et les douaniers ont dit : D'où venez-vous ? Nous avons répondu : De la mer. Ils ont dit : Où allez-vous ? Nous avons répondu : À la mer. Ils ont dit : Quelles sont vos adresses ? Une femme des nôtres a dit : Mon baluchon est mon village. À l'aéroport d'Athènes, nous avons attendu des années. Un jeune homme y épousa une jeune fille. N'ayant trouvé de chambre pour les mariages rapides, il se demanda : Mais où cueillir son hymen ? Nous en avons ri et lui avons dit : Jeune homme, ta question est déplacée. Et notre théoricien de service a dit : Ils meurent pour ne pas mourir. Ils meurent par inadvertance. Et le lettré a dit : Notre camp va tomber, inéluctablement. Que nous veulent-ils ? L'aéroport d'Athènes changeait d'habitants tous les jours. Et nous sommes restés assis, sièges posés sur les sièges, attendant la mer. Combien d'années encore, ô aéroport d'Athènes !
1986